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Posté par Kamit le 15 avril 2008

Tant que les lions ne seront conter leur propre histoire, nous entendrons toujours celle des chasseurs.

Mémorial de Brazza: l’antimémoire.

 

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Quatre après l’inauguration du mausolée de Brazza, la pilule ne passe toujours pas. Ils sont des milliers de congolais patriotes blessés dans leur amour propre par cet édifice qui par ailleurs ne semble extasier personne. Sauf peut-être l’extrême droite européenne, car au-delà de l’aspect symbolique du bâtiment, l’intérieur est tapissé de peintures représentent les Noirs autochtones en primitifs sauvages, conduits à la civilisation par Pierre Savorgnan de Brazza qui leur donne vêtements, santé et savoir. Un message indiscutablement qualifié de raciste dans les pays du nord où l’on peut se faire condamner pour moins que cela : Casterman l’éditeur de Tintin est sous le coup d’une procédure judiciaire parce que « Tintin au Congo » affiche des dialogues dénigrants pour la culture congolaise précoloniale. Mais lorsque ce sont des Noirs qui s’infligent cette insulte, le monde en est abasourdi et les racistes de tous poils n’ont plus que cet exemple à la bouche pour se dédouaner. Nous ne faisons pas de politique. Mais, puisque ce qui nous paraît une honte monumentale ne semble pas être compris par nos dirigeants qui l’alimentent, nous avons osé répondre aux quatre principaux slogans qui servent à justifier que Pierre Paul François Camille Savorgnan de Brazza ait un pompeux mémorial au Congo.

1. La colonisation n’a pas eu que des effets négatifs.
La colonisation dans son principe était un déni de droit du point de vue même des règles de la démocratie et de la république dont se réclamait la puissance coloniale. C’est également une violation de la déclaration universelle des Droits de l’Homme initiée par le colonisateur lui-même en 1789, puis ratifiée par le Congo après son indépendance. Un Etat ne peut donc célébrer une transgression juridique et morale, à plus forte raison lorsqu’il est reconnu victime. C’est ici que réside tout le mystère de cette démarche. Quant aux leçons à en tirer, que la colonisation ait eu des effets positifs, pour le colonisateur en tout cas c’est évident. Pour le colonisé, les effets négatifs pèsent largement plus lourds dans la balance. Une relation commerciale équitable aurait été possible et plus juste sans la colonisation qui a décimé des populations entières dans notre pays. Aujourd’hui, nous devons encore nombre de nos malheurs à cet impérialisme apporté par les bons offices de Savorgnan de Brazza.

2. Assumer le passé ; la colonisation en fait partie.
Il ne s’agit pas d’un musée sur la colonisation mais d’un hommage à la gloire du colonisateur et de la colonisation. Ce que aucun pays n’a jamais fait. La France même s’est abstenue de nous féliciter. Car si c’est ainsi qu’on démontre la fin du complexe colonial ou qu’on affiche l’assimilation de cet héritage, on aurait pu imaginer en France un mémorial dédié à Jules César, vainqueur et colonisateur des Gaulois il y’a environ 2030 ans. Mais au contraire, c’est l’histoire imaginaire d’un « irréductible village gaulois qui résiste et résiste encore… » à Jules César, que la France a choisi de cultiver, par Astérix, désormais le héros français le plus connu des 6-15 ans. Sa diffusion est encouragée par les institutions pour se fabriquer une dignité originelle dans la mémoire collective. Parce qu’être vaincu ou soumis, quelque soit la manière ou l’apport, cela ne s’assume jamais. Quant à le célébrer… Nous sommes tombés sur la tête !

3. Brazza aurait ouvert le Congo sur le monde, lui apportant la civilisation.
La mission Pierre Savorgnan de Brazza n’était aucunement humaniste. Il avait reçu mandat de s’approprier terres, hommes et richesses pour en faire propriété de son pays et lui assurer sa grandeur impériale. Ce qu’il fit. L’apport technologique qui a accompagné cette domination n’étant qu’une conséquence indirecte, d’ailleurs trop cher payé. Pour simplifier, le fait qu’un éleveur vaccine ses vaches ne signifie pas que l’intérêt des bêtes soit son objectif. Brazza a soudoyé nos chefs avec des bricoles qui avaient fait leurs preuves auprès de nos rois négriers durant la traite, et ne s’est pas gêné de faire signer à des illettrés totaux des actes dont ils ne saisissaient absolument pas la portée. C’est de l’abus de confiance qui mérite la prison, voire la peine de mort quand c’est un roi qui se trouve ainsi abusé. Mais certainement pas la gloire en marbre de Carrare! Quant à son pacifisme tant loué, rappelons que la colonisation n’admettant que des soumis et des morts, les résistants incorruptibles auraient de toutes façons été tirés comme des lapins. Les mbochis surnommés par Brazza « afourou » le sauront à leurs dépens.

4. C’est l’homme et l’humaniste qu’il était que nous honorons, et pas le système ou son pays.

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Pierre de Brazza: le chaos qui nous inspire.
Rien de mieux que l’avis de ses compagnons pour savoir ce qu’il en est réellement, n’est-ce pas !? Marchand, Baratier, Largeau fils et les autres officiers se plaignent tous de lui dont l’affection pour les indigènes s’exprime surtout « au plaisir de se faire porter en tipoye par les nègres au moindre déplacement, retardant toute la compagnie ». C’est à tel point qu’ils le surnomment « farniente », traductible par « paresseux ». Ils demanderont à ce qu’il soit relevé, ce qui fut fait. Largeau père, gouverneur de Loango est plus précis dans sa lettre du 5 novembre 1891 à son fils: « Le désordre que l’on remarque autour de lui, le débraillé de sa tenue, sont les répercussions de son état intellectuel. Il n’a aucun plan arrêté, change d’idées 20 fois par jour et le moment d’agir venu, il cède à l’impulsion de ce moment-là. Le même désordre règne dans toutes les branches du service (…) le gaspillage est épouvantable: on va de l’avant parce que le ministère l’exige, mais sans rien organiser ». Pour un modèle, on peut trouver mieux, rassurez-vous!

LA MEMOIRE COLLECTIVE
Ce mausolée est indiscutablement beau. Mais la psyché ne retient pas que des éléments esthétiques dans la masse d’information que nous captons au quotidien. Elle s’en crée aussi des schémas, des certitudes, des visions qui vont déterminer bon nombre d’éléments dans sa perception de lui-même et de l’autre. Les commémorations politiques visent à orienter cette perception en exacerbant un patriotisme (qui signifie « glorification des pères »). Elles symbolisent des faits héroïques autour desquels la nation va puiser sa fierté, sa force et son unité.
Or le message que nous renvoie ce monument est que « nous sommes un peuple fondé par un type qui ne nous connaissait même pas, qui nous a soumis aux siens et que nous devons continuer à vénérer au-delà de nos moyens parce que nous lui appartiendrons toujours ».
Nous, irréductibles patriotes, avons ce sentiment des lendemains de matchs des Diables Rouges perdus. Avec un pays ami ou ennemi, cela ne change rien au goût amer de la défaite. Le nationalisme fragile de notre peuple n’en grandit pas. Enfin, la vague de critiques que les étrangers portent sur nous à ce sujet, inflige au Tricolore oblique un déshonneur dont il aurait pu se faire l’économie.
Le remède.
On peut comprendre qu’il soit difficile que le Congo fasse machine arrière en fermant purement et simplement ce mémorial (qualifié de Musée de la honte), sous le même gouvernement qui l’a construit en grande pompe. Mais nous pouvons rattraper ce tir en ajoutant aux côtés de la statue de Brazza, d’autres sculptures de même ampleur représentant des personnalités qui auraient eu un rôle aussi éminent dans cette ville. Nous proposerions « Nzinga Nkuvu », roi du Kongo au XVème siècle après avoir été gouverneur de la province de Nsundi dont le territoire recouvrait cette zone; « Ngobila », grand chef local téké de la fin du XVIème siècle ; « Fulbert Youlou » né à Brazzaville et premier maire autochtone de cette ville ; « Jacques Opangault » qui pesa de tout son poids pour que la capitale soit ramenée de Pointe-Noire à Brazzaville ; « Ntsoulou », qui fut en 1880 le dernier makoko de Nkuna, c’est-à-dire des deux villes de part et d’autre du Pool Malebo (aujourd’hui Brazzaville et Kinshasa) avec résidence à M’foa ; et enfin « Félix Eboué », gouverneur de l’AEF à Brazzaville et qui en tant que guyanais et noir symbolise à lui seul la reconnexion avec tous nos frères déportés par l’esclavage.
Alors on ne parlera plus du mémorial de Brazza mais de celui de « Brazzaville », réconcilié avec son histoire réelle dans le respect de chacun. D’autant qu’il existe déjà sur le promontoire de Bacongo face à la case de Gaulle, un mémorial de Brazza, au bout de l’avenue de Brazza, qui commence au lycée de Brazza, dans la ville qui porte le même nom. Que demander de plus, surtout lorsque la France sa patrie ne lui a consacré qu’une ruelle de 95m de long.

Société des historiens du Congo. Tout droit réservé.

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